Lydia Lopokova

Karsavina : La petite Lopokova faisait partie du groupe des élèves qui m’étaient maintenant confiés. La grande emphase qu’elle mettait à ses mouvements était comique à observer chez cette mince fillette dont le visage avait le sérieux d’un ange. Qu’elle dansât ou parlât, tout son corps tremblait d’excitation, elle débordait d’émotion et sa charmante personnalité se manifestait dès la première minute.

La jeune Lopokova dansa parmi nous cette saison-là. C’était son premier voyage à l’étranger. Lorsqu’elle descendit du train, l’émotion la terrassa et elle s’évanouit sur une pile de bagages. Cela avait toujours été son rêve de venir à Paris, expliquait-elle à Bakst qui, fort perplexe, s’efforçait de son mieux de la ranimer, et la vue magnifique de la Gare de Paris (!) avait excédé ses forces. Encore enfant, elle semblait toujours la toute petite élève sérieuse que j’avais connue quand elle courait sur ses pointes à demi-extasiée, dans les Sylphides.

Elle conquit une place toute particulière dans le cœur du public et une nuance de tendresse marquait les éloges que les journaux lui décernaient à profusion. Personne n’a tracé d’elle un meilleur portrait que Jean-Louis Vaudoyer dans ses « Variations sur les Ballets Russes. »

Les princesses de la danse, tout comme les souverains ont leur numéros dynastiques ; elle c’est Lopokova II. Sa virtuosité spirituelle est adoucie par l’imperceptible gaucherie de la jeunesse.

Un imprésario avisé s’empara de la petite Lopokova qui durant des années s’en fut danser en Amérique. Elle revint après avoir conquis une maîtrise technique qui la classa justement au rang d’étoile et cependant, Dieu sait par quel miracle, sa spontanéité, le sérieux et la gravité qui composaient son charme demeurèrent intacts.