Génèse

1911, Genèse du Sacre

Buckle, Nijinski : Stravinsky qui n’était pas parti à Londres avec les ballets retourna en Russie où lui et Roerich se mirent au travail sur le Sacre.

Expositions : Après les représentations de Petrouchka, en juillet 1911, je suis parti pour le domaine de la Princesse Ténichev, près de Smolensk, pour y rencontrer Roerich et mettre au point le scénario du Sacre. Roerich était très ami avec la Princesse et il voulait à tout prix me montrer sa collection d’art ethnique russe. Je voyageai d’Oustiloug à Brest-Litovsk, où j’appris qu’il me fallait attendre deux jours pour le prochain train à destination de Smolensk. J’ai réussi à convaincre le chauffeur d’un train de marchandise de me laisser voyager dans la voiture à bétail, et je me retrouvai seul avec un taureau ! Le taureau était attaché par une corde pas très rassurante, et comme il me regardait férocement, je me barricadai derrière ma petite valise. Je devais avoir une drôle d’allure en arrivant à Smolensk, descendant de ma corrida, portant ma valise élégante et brossant mes habits et mon chapeau, mais je devais avoir l’air très soulagé.

La princesse me de donna une maison d’invité, servie par des domestiques en uniformes blancs très élégants, et avec des ceintures rouges et des bottes noires.

Je me mis au travail avec Roerich et en quelques jours, le plan d’action et les titres des danses étaient composés. Roerich fit également un croquis de son décor, du style fameux des Polovtsiens pendant notre séjour, et il dessina les costumes d’après les vrais costumes de la collection de la princesse.

Immédiatement après mon retour à Oustiloug, j’entreprenais les idées thématiques du Sacre. Ces thèmes étaient : ceux des Augures Printanières, la première danse que je devais composer.

A mon retour en Suisse, automne 1911, je m’installai avec ma famille dans une pension de Clarens et là je continuai mon travail. Presque tout le Sacre a été conçu dans une petite pièce de cette maison, ou plutôt dans un placard dont les seuls meubles étaient un piano droit que j’assourdissais, une table et deux chaises. J’ai composé les Augures Printanières jusqu’à la fin de la première partie et ensuite les Préludes. Mon idée était que le Prélude devait représenter l’éveil de la nature, les grattements, les morsures, le frétillement des oiseaux et des animaux. Les danses de la seconde partie furent composées dans l’ordre où elles viennent maintenant, et composées très rapidement, jusqu’à la Danse Sacrale que je pouvais jouer, mais que, au début, je ne pouvais pas écrire.

Romola Nijinski : Il y a des années, le jeune Stravinsky, pendant qu’il composait l’Oiseau de feu avait imaginé un thème. Celui-ci était trop brutal et fort pour être utilisé dans le ballet de l’Oiseau si délicat et magique. Ce thème avait suggéré à Stravinsky la Russie préhistorique. A ce moment, il avait mis l’idée de côté.

Roerich, le grand homme de la Russie archaïque avait toujours espéré que Diaghilev présenterait non pas une période ou un trait de la race russe, comme l’Oiseau de feu ou Petrouchka, ou Igor, mais l’essence même de l’âme des Russes, une sorte d’épopée nationale.

Donc, Roerich rêvait des rites de l’ancien temps. Après le Faune, le besoin créatif de Nijinski devint plus prononcé, et, maintenant que Fokine n’était plus avec la compagnie, Diaghilev l’encourageait à composer. Il avait besoin de Nijinski plus que jamais, mais Nijinski sentait que la création devait être spontanée.

Heureusement pour Diaghilev, le ballet, il s’occupait alors d’une nouvelle idée qui grandissait et se clarifiait chaque jour. Cela concernait un tableau chorégraphique où ses idées, son « école » de danse pourrait se développer entièrement. Pour faire cela il devait se retourner vers une époque archaïque, une émotion primitive. Il désirait retourner au moment de la création, et il choisit la période primitive de la Russie.

Il raconta cela à Diaghilev qui s’écria devant les descriptions de l’adoration et des rites de la nature : « Comme c’est étrange… le désir secret de Roerich. »

Stravinsky dans une lettre adressée à Roerich, le 15-7-1911 :

Cher Nikolaï Konstantinovitch,

Il faut absolument que nous nous voyions et que nous décidions de chaque détail spécialement toute question concernant les représentations au sujet de « notre enfant ». Je pense commencer à composer à l’automne, et si la santé le permet, finir au printemps.

Une autre raison de nous voir maintenant est que je ne passerai pas l’hiver cette année à Saint-Pétersbourg, mais probablement en Suisse, de là me rendant Paris. Veuillez écrire immédiatement à propos de votre arrivée à Talachkino et me préciser les meilleurs moyens d’y parvenir lorsqu’on vient de Smolensk. Si ce n’est pas très loin, peut-on envoyer quelques chevaux ?

(Le voyage est raconté dans la page suivante)

A Talachkino, Roerich lui montre une multitude de documents de la collection superbe de la princesse Ténichev. Collection d’art et de costumes russes dont il adapte certains pour le Sacre.

De retour à Oustiloug, Stravinsky commence la composition des « Augures du Printemps ». Pendant les mois de l’été, il trouve le temps d’écrire la musique sur des poèmes du poète symbolique Konstantin Balmont. Deux chants pour voix hautes et une cantate pour chœur d’hommes et orchestre, Zverzdoliki, le Roi des étoiles, qu’il dédie à Debussy.

(Le roi des étoiles est un poème visionnaire d’images apocalyptiques et symboliques)

Départ d’Oustiloug pour Clarens en automne.

En novembre il fait deux voyages à Paris :

Le 24 novembre 1911 : lettre à Benois de Clarens

…j’étais à peine arrivé ici de Paris que Diaghilev m’a télégraphié de revenir… je suis allé passer une journée et ai logé chez Mme Edwards (Misia) ou j’ai joué de ce que j’avais composé du Sacre. Tout le monde a beaucoup aimé…

A Clarens, il est installé à la Pension « Les Tilleuls », au bord du lac Léman. (Dans ce Clarens où Tchaïkovski avait séjourné quelque trente ans auparavant).

Stravinsky touche un acompte de Diaghilev pour le Sacre.

Comme Diaghilev est venu à Paris le 17 novembre, Stravinsky a dû le voir ce jour-là et repart pour Paris deux ou trois jours tard.